Peña Nieto la distinction suprême, la grand-croix de la Légion d’honneur, et lui a dit qu’il pouvait compter sur la France pour soutenir ses «ambitions» car ses «réformes sont aussi les nôtres». Mais ce dont le Mexique a besoin, ce n’est pas un soutien aveugle à un président dont les politiques néolibérales conduisent le pays au chaos, mais un témoignage de solidarité internationale envers le peuple mexicain qui en paie le prix du sang.
La situation a malheureusement empiré depuis l’arrestation illégale de Florence Cassez en 2005 et sa détention dans une prison mexicaine pendant sept années, au mépris du droit. Depuis l’arrivée au pouvoir de Peña Nieto, on ne compte plus les violations des droits de l’homme et les attaques de journalistes à travers le pays. Le nouveau régime a aussi établi un contrôle des médias, une mise au pas des partis d’opposition, et a envoyé des dizaines de militants en prison sous de fausses accusations.
Enrique Peña Nieto est issu de l’ancien Parti révolutionnaire institutionnel (Partido Revolucionario Institucional, PRI), qui a gouverné le Mexique d’une main de fer pendant soixante et onze ans, jusqu’à la victoire en 2000 du Parti démocrate-chrétien d’Action nationale (Partido Acción Nacional, PAN). Avant de devenir président en 2012, Peña Nieto était gouverneur de l’Etat de Mexico, où le PRI a été aux commandes pendant quatre-vingt-neuf ans sans interruption.
Dans un premier temps, de nombreux observateurs ont, non sans naïveté, considéré Peña Nieto comme le représentant autoproclamé d’«un nouveau PRI», le parti étant supposé s’être réformé de lui-même pendant ces douze années dans l’opposition. Et la communauté internationale a, dans l’ensemble, approuvé l’accent mis par le nouveau président sur sa politique de réforme économique. A commencer par les éminents membres français - parmi lesquels les présidents directeurs généraux de Danone, EADS, Moët Hennessy, GDF Suez et Safran - duConseil stratégique franco-mexicain, un organe binational récemment créé, tourné vers des intérêts économiques privés (2).Mais Peña Nieto n’est pas tenu en grande estime dans son pays. Sa cote de popularité est la plus basse obtenue par un président dans les vingt dernières années, et peut-être même au cours du siècle dernier. Sans doute cette impopularité est-elle à mettre sur le compte de la rupture que constitue cette réforme économique face à la longue tradition mexicaine de défense des droits sociaux et de souveraineté économique.
La Constitution du Mexique, établie en 1917 dans la foulée de la Révolution mexicaine de 1910-1917, fait référence dans la mesure où elle a été la première au monde à introduire directement dans le texte constitutionnel des droits dits de «troisième génération» (droit au travail, à l’éducation, à la santé, à la terre, à la santé, etc.). Elle est en cela le pendant, au XXe siècle, pour les droits collectifs, sociaux et économiques de ce qu’a été la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour les droits et les libertés individuelles au XVIIIe siècle.
Sans surprise, des protestations ont éclaté dans tout le pays en réponse à la tentative de Peña Nieto de revenir sur ces acquis fondamentaux. Les étudiants militants qui ont été massacrés par la police le 26 septembre, dans la ville d’Iguala (dans le Guerrero), étaient l’un des groupes les plus critiques.
Les victimes sont des élèves des écoles rurales de formation de professeurs, qui ont été créées dans les années 20 pour soutenir le développement des communautés rurales, pauvres, souvent indigènes. Plutôt que d’apporter «les Lumières» de l’extérieur, l’idée directrice des fondateurs était de développer une communauté et un leadership local, en éduquant la population. Ironie du sort, quand la police a tiré sur eux, les étudiants étaient en train de collecter de l’argent pour pouvoir se rendre dans la ville de Mexico et participer à la marche annuelle de commémoration du massacre des étudiants du 2 octobre 1968.
Bien que les coups de feux aient été tirés semble-t-il par des membres de la police locale d’Iguala, les militaires en présence dans la ville n’ont rien fait pour les en empêcher pendant ces trois heures de chaos. Au contraire, ils ne sont intervenus qu’après l’attaque, et au lieu de s’en prendre à ceux qui l’avaient commise, ils ont immédiatement mis en détention les victimes, des étudiants évidemment sans armes.
Les coups de feu tirés sans discernement par la police sur un van d’étudiants français et allemands revenant de la plage d’Acapulco le week-end dernier sont un autre exemple du déclin profond de l’Etat de droit au Mexique. Comme les Français en ont fait l’expérience au travers de l’affaire Florence Cassez, la présomption de culpabilité prévaut sur la présomption d’innocence au Mexique. Malheureusement, François Hollande et l’Assemblée nationale ferment les yeux sur cette situation accablante. Il faut dire qu’actuellement la ville d’Iguala est sous le contrôle de la nouvelle «gendarmería» de Peña Nieto, créée sur le modèle de la gendarmerie française et développée avec le soutien direct du gouvernement français. Par contraste, la semaine dernière, un groupe de députés du Parlement européen, dont le vice-président du Parlement, Ulrike Lunacek, et les Français José Bové et Eva Joly ont signé une lettre ouverte condamnant le massacre du 26 septembre, et appelant à la suspension des relations commerciales avec le Mexique en attendant des améliorations significatives en matière de droits de l’homme (3). Les Nations unies, Amnesty International, Human Rights Watch et la Commission interaméricaine sur les droits de l’homme ont aussi exprimé des condamnations vives de l’incident. Le gouvernement français et l’Assemblée nationale devraient envisager de prendre des mesures similaires.